Lettres expiatoires

Des lettres s’intègrent aux autres formant tranquillement, sous le rythme d’un stylo dicté par une main, des phrases qui soutiennent des idées. Ratures, gribouillis, escamotages; la rapidité fait parfois office d’inspiration, car tout cela déboule à une vitesse fulgurante. Cependant, malgré tout, les idées et la rapidité calligraphique se font une petite course et c’est toujours le premier concept qui se voit premier à la ligne d’arrivée attendant l’autre qui traîne de la patte. Le besoin de se soustraire à quelque chose, de faire passer ce qu’on pense dans les dessous d’un texte, il est pressant ce besoin lorsqu’il vous tient. Les mots se bousculent dans votre tête, telle une ribambelle d’enfants pressés de sortir de l’école pour les vacances de Noël, la prise de tête et les maux de tête ne sont pas à exclure des possibilités. L’inspiration flotte au-dessus des têtes dictant sur son passage si nous devons ou pas écrire et lorsque le besoin d’écrire cogne à votre porte vous avez bien beau sauter haut pour tenter de le saisir, vos doigts le frôlent sans arriver à l’accrocher pour de bon. Vous avez bien beau crier à tue-tête toute votre hargne et votre désespoir, rien ne vous répondra mis-à-part l’écho terrible de votre propre plainte. Les textes prennent forme sous la grande expérimentation de l’écriture, alors que l’écriture, elle-même, prend forme sous la pratique constante de cet art. Longtemps, sans écrire, c’est comme s’édulcorer; se faire la gueule à soi-même, car c’est se suicider à petites doses. Écrire sans besoin primaire d’être lu, quoique écrire pour rien ne vaut pas grand-chose; savoir que la lecture de nos écrits galvanise, mais que si cela n’est pas possible, de toute façon, arrêter est impossible. Critiquer, battre et enfermer ses propres idées, car il n’y a pas pire critique que sa propre conscience. On dissèque, fragmente et analyse nos propres textes afin de les rabaisser. Cependant, ce zèle d’envergure artistique n’empêche pas les autres d’apprécier l’assemblage de mots qui forme des sentiments, des idées et des frissons autant qu’il n’empêche pas l’écrivain de vouloir persévérer dans sa quête ultime de la perfection. Texte après texte, il chevauche les virgules, s’enfarge dans les lignes de ses feuilles, malmène les expressions de la langue, réinvente les procédés linguistiques à sa guise, mise sur l’originalité qui se fonde sur l’archaïsme ou encore le déjà-vu, chiffonne plusieurs textes qui auront leurs instants de gloire qu’au fond d’une corbeille, griffonne des idées qui n’auront jamais la chance de naître, rature des tournures de phrase que le perfectionnisme annihile et cherche désespérément à retrouver ce vieil ami : l’inspiration, qui lui soufflera l’espoir, le talent et la chance de tomber sur les bons mots à l’instant fatidique. On cisaille des sujets, fracasse les règles de français, enfourche la rébellion et la révolution, s’exclame sans crier, ponctue des faits abruptes ou doux, enflamme le papier d’une calligraphie de pattes de mouche ou encore soignée plus que nécessaire, conscientise les autres sans le vouloir… Les écrivains se lancent dans des missions dont ils ignorent même l’existence, tout ce qui les intéresse c’est d’écrire. Écrire, c’est un besoin essentiel qui devient tranquillement la meilleure des thérapies, le meilleur des amis et la chance de pouvoir parler sans être jugé. Il n’y a plus de limites entre les lignes du papier, celles-ci disparaissent; on peut faire ce qu’on veut. Le stylo manquera tôt ou tard d’encre, mais l’écrivain trouvera toujours des mots à coucher sur le papier. Lorsqu’écrire devient un besoin, une passion, une raison de vivre, un échappatoire…